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Chaînes d'infos ou chaînes d'infaux ?

par Alain Camilleri


Alors que les vagues épidémiques de la Covid 19 se succèdent et que les élections générales sont au coeur de l’actualité, les médias audio-visuels jouent un rôle décisif dans notre démocratie. Parmi ces médias, la montée en puissance des chaînes d’information en continu nous interpelle.

L’information en continu est a priori un concept séduisant : l’auditeur ouvre son poste de radio ou son téléviseur et, en cinq minutes chrono, il est au courant de tout ce qui se passe d’important dans le monde. Ainsi, quand en 1987 la radio d’info en continu France info est lancée, l’engouement pour cette nouvelle forme de média est notable.

Par la suite, l’exemple venant comme souvent de l’autre côté de l’Atlantique, quatre chaînes TV d’infos en continu vont voir le jour : LCI en1994, CNews en 1999, BFMTV en 2005 et, en 2016, ne voulant pas être en reste, le service public audiovisuel décide de créer lui aussi sa chaîne en continu : France info se dote de son volet télévisuel.



L’appartenance de France info -radio et télévision- au groupe d’État France Télévisions confère à cette entité une place à part : assurer en matière d’information une mission de service public ; cet encadrement n’évite évidemment pas quelques dérapages mais, globalement, prévient ou limitent les dérives partisanes.

Cet effort éthique est peu plébiscité puisque des 4 chaînes d’infos, France info recueille la plus faible part d’audience (0,8%) ; en l’occurrence, la première place revient à BFMTV, filiale du groupe Altice (Patrick Drahi), avec 2,9% de part de marché, suivi de CNews (Canal+/Bolloré) 2,2% et LCI (groupe TF1) 1,1%.

Les moyens pour remporter la course à l’audimat

Les trois médias privés se livrent à une lutte sans merci pour conquérir le moindre dixième d’audimat ; ce combat acharné ne laisse pas indemne la qualité de l’information distillée 24 heures sur 24. Mais quels leviers les responsables éditoriaux utilisent-ils pour triompher de la concurrence ? Voici quelques pistes :

Une palette d’informations peu diversifiée qui se contente de tourner en boucle toute la journée ; compte tenu de l’appartenance de ces chaînes à des grands groupes dotées de trésoreries opulentes, il est clair que ce choix ne relève pas de contraintes budgétaires mais d’une politique éditoriale délibérée.

Une place importante réservée aux faits divers : le moindre crime crapuleux, élucidé ou pas, dispose d’un temps d’antenne considérable ; le direct systématique pour les conférences de presse des procureurs de la République alternant avec de longs documentaires «

Justice/Police » relatant régulièrement des affaires élucidées ou en cours d’instruction.

Une approche partisane assumée se manifestant soit ouvertement avec des compositions de plateau peu équilibrée, soit de façon plus subliminale avec la rédaction ambigüe de bandeaux accrocheurs tel que : « nouveau protocole Covid : des mesurettes ? », le téléspectateur retenant évidemment plus le texte connoté négativement que le point d’interrogation sensé pondérer l’accroche.

Un outil médiatique agissant comme un accélérateur d’anxiété collective qui s’appuie quotidiennement non seulement sur l’insécurité qui traverse notre société et les faits divers qui en découlent mais aussi, depuis maintenant deux ans, sur la pandémie qui affecte la planète.

Une rédaction de qualité inégale composée à la fois par de vraies et grandes signatures média-politiques mais aussi par un trop grand nombre de présentateurs n’ayant, hélas, de journalistes que le nom.


Les risques d’une information uniformisée

Cet ensemble de caractéristiques communes aux chaînes d’infos privées concourent à abaisser la qualité journalistique au profit d’un populisme éditorial. À terme, cet abaissement constitue une menace pour notre démocratie

qui ne peut s’épanouir que dans la pluralité des obédiences. À l’heure des élections générales, il est crucial que les Français puissent disposer d’informations plurielles de nature à les aider à se faire une opinion sur l’offre politique et les choix de société proposés

Le citoyen et la zapette

En 1963, durant l’ère gaulliste, le ministre de l’Information Alain Peyrefitte est venu en majesté un soir à 20 heures présenter en direct à la télévision d’État les grandes lignes de la réforme du journal télévisé. Aujourd’hui, la mainmise du pouvoir politique sur l’information relève heureusement d’un passé lointain ; désormais, c’est la main invisible de quelques Citizen Kane de l’audiovisuel qui tente de mettre au pas l’information.

Mais il n’est de problème sans solutions ! Si nous ne perdons pas de vue que l’objectif central des responsables des chaines d’infos est la part d’Audimat, la première des solutions est littéralement entre les mains du citoyen ; il s’agit d’un outil à la fois usuel et redoutable : la télécommande plus familièrement appelée la zapette.

Son usage peut faire et défaire les parts d’audience de tel ou tel média. Libres à celles et ceux qui lisent ces lignes d’en bon usage !


Cet article qui reste plus que jamais d'actualité même sorti du contexte du Covid a été publié dans le numéro 36 de Lumières Internationales . Retrouvez-le ici


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