« Je ne pourrais jamais être Avocat car je ne pourrais pas défendre un violeur d’enfant ouun assassin de personne âgée. Et vous cela ne vous pose pas de problème de conscience ? ».
Un jour ou l’autre un avocat qui est interrogé sur l’exercice de sa profession par un ami, une connaissance ou un simple quidam sera confronté à cette interpellation. C’est même le
questionnement qui revient le plus souvent quand il s’agit d’expliquer la raison d’être du magistère de l’avocat.
Autant il est facile pour un médecinde justifier que son éthique professionnelle lui commande de soigner tout individu qui a recours à lui, autant il est presque impossible à un avocat de le faire. Et pourtant, le point commun entre les deux professions de médecin et d’avocat est d’incarner une fonction sociale. Pour le médecin, il s’agit de soigner, pour l’avocat il s’agit de défendre. Soigner, défendre, deux engagements sociaux qui tracent une frontière entre la civilisation et la barbarie.
L’avocat ne se confond pas avec son client et défendre, c’est défendre une personne et non justifier l’acte qui lui vaut d’avoir recours à vos services. Car, derrière l’acte aussi monstrueux et injustifiable soit-il, il demeure toujours une personne qui ne saurait totalement se confondre avec celui-ci.
Pour le dire autrement, défendre ce n’est pas approuver, défendre c’est restituer l’humaine
condition qui, quoi qu’il advienne au bout du procès, ne pourra jamais et ne devra jamais être abolie.
Quand Robert Badinter défendit Patrick Henry, il ne justifia pas l’assassinat commis par son client. Il le défendit pour lui éviter la condamnation à la peine capitale.
Quand les avocats défendirent les accusés des attentats du Bataclan, ils ne justifièrent pas les actes de leurs clients. Défendre, ce n’est pas forcément approuver les actes de son client.
Dans un procès pénal, l’avocat de l’inculpé ou de l’accusé n’est qu’une des parties en présence. Face à lui il y a le procureur de la République ou l’avocat général dont la fonction sociale est de poursuivre et de requérir une peine au nom de la société.
Dire qu’un «salaud » ne peut être défendu c’est enfreindre deux principes essentiels dans une société démocratique.
Le premier de ces principes c’est que tout accusé doit être présumé innocent et qu’il appartient
à l’accusation de rapporter la preuve de la culpabilité. C’est la fameuse présomption d’innocence. Et l’accusation ne manque pas de moyens à sa disposition pour tenter d’établir cette culpabilité. Le code de procédure pénale donne à la partie poursuivante la possibilité de recueillir des indices, des témoignages, des preuves matérielles de nature à corroborer les soupçons qui ont conduit le parquet à diligenter une enquête préliminaire puis à requérir l’ouverture d’une instruction. Mais ces éléments à charge doivent pouvoir être discutés, voire combattus par l’avocat du mis en cause. C’est le respect du contradictoire. Ce n’est pas parce que l’accusation affirme quelque chose que ce quelque chose est fondé.
Le deuxième de ces principes est qu’il appartient au juge et à lui seul de trancher entre les deux
thèses, celle de l’accusation et celle de la défense. Le juge, juge toujours en son intime conviction avec l’obligation fondamentale de motiver sa décision.
L’intime conviction, la plus belle des injonctions qui soient et qui rappelle que juger est toujours une affaire humaine dans la grandeur de son imperfection. Prenons-en toute la mesure avec la lecture de ce magnifique article 353 du Code de procédure pénale relatif à la Cour d’Assises :
Avant que la cour d’assises se retire, le président donne lecture de l’instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations :
« Sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : Avez-vous une intime conviction ? ».
Et vous, cher lecteur, après ce bref propos, quelle est désormais votre intime conviction ?
Retrouvez ici un autre article de Pascal Cherki pour Lumières Internationales
Image par herbinisaac de Pixabay
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