L’histoire du nuage
- Alain Maruani
- il y a 12 minutes
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Prologue
Je cherche une histoire
Des petits boubous, qui ne voulaient pas dormir, m’ont demandé de leur
raconter une histoire très intéressante et surtout très longue ; pas une histoire
qui fait peur, mais une histoire qui fait rire. Comme je n’avais pas beaucoup
d’idées, je suis allé chercher une histoire longue, intéressante et qui ne fait
pas peur, là où je savais qu’il y en avait.
Ce que le volcan m’a dit
Je suis d’abord allé voir le Popocatepetl, qui est un volcan du Mexique, un
volcan vraiment très haut. Dans une langue qui s’appelle le nahuatl, et que beaucoup de gens
parlent, Popocatepelt signifie La montagne qui fume : cette montagne
est un volcan. Les habitants de la région disent quelquefois
Popo, car ils n’ont pas envie de dire le nom complet du volcan.
Je préfère ne pas faire comme eux.
Le volcan m’a dit :
– J’avais beaucoup d’histoires comme tu les cherches, malheureusement, j’ai
toussé et quand je tousse j’envoie des flammes très hautes et très chaudes
dans l’air et toutes mes histoires ont fondu. Mon frère Océan pourra t’aider
car il n’y a pas de flammes chez lui.
Ce que Océan m’a dit
Je suis donc parti rencontrer Frère Océan, dont le vrai nom est Okéanos.
Pkéanos - Océan - était un vieillard élégant, doux et bienveillant.
Il habitait au fond des eaux, loin des agitations du Monde.
Ses trois mille garçons sont les fleuves et ses trois mille filles s’appellent les Océanides. On raconte qu’elles vivent au fond de l’eau ; certaines d’entre
elles s’occupent des nuages, d’autres des vents marins, d’autres des pâturages,
d’autres des fleurs et d’autres des fontaines.
J’ai demandé à Okéanos s’il avait des histoires comme j’en voulais, et il m’a
répondu :
– Bien sûr que j’en ai, mais je n’ai vraiment pas le temps de m’occuper de
toi ; je dois préparer le goûter de mes six mille enfants et quand j’aurai servi
la dernière, ce sera l’heure du dîner pour le premier.
J’ai compris qu’il commençait toujours par les garçons et suis parti.
Ce que le nuage m’a dit
Un grand nuage m’a semblé gentil ; je suis allé le voir et il m’a dit :
– Quelle bonne idée tu as eue de venir me voir là où j’habite, c’est-à-dire
dans le ciel ! Il se trouve que je dois entreprendre un long voyage vers le golfe
du Bengale, où se réunissent les gros nuages, pour la mousson d’été. Là, ils se
transforment en pluie, ce qui est quelquefois utile et quelquefois maladroit.
Mais je ne vais pas t’ennuyer davantage avec mes histoires de nuage.
Voici une boîte, qui contient une histoire ; je te la donne, prends en soin
quand tu seras en bas. Fais attention quand tu partiras, si tes mouvements
sont trop brusques, tu me transformeras en pluie avant mon départ.
Je suis redescendu chez moi, avec la boîte, ma boîte, avec une histoire dedans.
Rencontre
Revenu chez moi, j’ai ouvert la boîte. Une vapeur légère en est sortie et j’ai
entendu ceci dans mes oreilles :
– Je suis la promesse de l’histoire que le nuage t’a confiée. Pour devenir une
vraie histoire, il faut que tu mettes des mots sur moi, car sans mots je ne
suis rien.
Quand tu auras mis des mots sur moi, alors je serai devenue une vraie histoire.
Je vivrai dans toi et avec toi ; tu pourras changer et même beaucoup changer,
je resterai toujours l’histoire que tu as cherchée et que tu as trouvée.
J’ai mis dans l’histoire les mots les plus jolis que j’avais, jusqu’à ce que je
sente dans l’air une odeur délicieuse et nouvelle et jusqu’à ce que, peu à peu,
l’histoire m’enveloppe et m’endorme.
Quand je me suis réveillé, je savais que l’histoire faisait partie de moi et que
je faisais partie de l’histoire, que je faisais partie de toutes les histoires que
j’avais dites et partie aussi de toutes les histoires que je dirai.
Voici l’histoire de l’histoire qui était dans le nuage.
L’histoire de l’histoire
Il y avait un jour un petit bonhomme qui était triste, au bord de la Grande
Mer et il pleurait, pleurait, pleurait, au point que les vagues avaient cessé de
rugir et s’efforçaient de le consoler en se transformant en dentelle d’écume le
long du rivage. Un autre petit bonhomme est arrivé et il a essayé de consoler le petit bonhomme triste ; il n’y est pas arrivé, ce qui l’a rendu triste lui
aussi ; il s’est mis à pleurer.
Un troisième petit bonhomme est arrivé et il a essayé de consoler les deux
petits bonshommes tristes ; il n’y est pas arrivé, ce qui l’a rendu triste lui
aussi ; il s’est mis à pleurer.
Un quatrième petit bonhomme est arrivé et il a essayé de consoler les trois
premiers petits bonshommes ; peu après, il s’est mis à pleurer lui aussi.
Et les petits bonshommes ne cessaient d’arriver au rivage de la Grande Mer ;
en peu de temps, ils furent six mille et tous pleuraient.
Alors vint une Océanide, qui s’appelait Cerceis et qui était très belle et très
gentille et elle demanda au dernier petit bonhomme pourquoi il pleurait ; et
le dernier petit bonhomme lui répondit :
– Je ne sais pas ; c’est parce que j’ai vu que le petit bonhomme à côté de moiétait triste et qu’il pleurait ; cela m’a rendu triste et j’ai pleuré.
Alors Cerceis demanda au petit bonhomme à côté du dernier pourquoi il
pleurait lui aussi ; et ce petit bonhomme répondit
– Je ne sais pas ; c’est parce que j’ai vu que le petit bonhomme à côté de moi
était triste et qu’il pleurait ; cela m’a rendu triste et j’ai pleuré.
Alors, Circeis continua de demander à chacun des petits bonshommes pourquoi
il pleurait et elle obtenait toujours la même réponse.
Elle arriva enfin jusqu’au premier petit bonhomme, qui lui dit :
– Je continue de pleurer parce que je suis triste de voir pleurer tous ces petits
bonshommes le long du rivage de la Grande Mer, mais j’ai oublié pourquoi
je pleurais au début.
L’histoire que les boubous attendaient.
J’ai dit à l’histoire : Je trouve que tu es une histoire longue et aussi une
histoire intéressante, mais je ne sais pas si tu es une histoire qui fait rire.
Et l’histoire me répondit :
– Une histoire qui fait rire ne fait rire qu’une fois. Moi, je suis mieux, je suis
une histoire qui fait sourire et un sourire, ça dure toute une vie.
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