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ENSEIGNANT...ma non troppo

par Pascal Cherki - Avocat au Barreau de Paris, ancien député de Paris.


En 2021, public et privé confondus, l’Education Nationale comptait 869 300 enseignants

dans le 1er et le 2nd degré qui exerçaient leur métier dans 59 650 écoles et collèges

sur le territoire national qui accueillaient 12 809 200 élèves.

La dépense intérieure totale consacrée à l’éducation se montait à 160,5 milliards d’euros, soit 6,6% du PIB du pays, dont 57% provenait de l’Etat et 75% de ces concours financiers de l’Etat étant consacrées aux salaires, charges et pensions des personnels de l’éducation nationale.

En dépit de ces sommes considérables affectées à l’éducation, beaucoup ont le sentiment que notre école est en crise et qu’elle ne remplit que trop imparfaitement les missions pour lesquelles elle a été bâtie. Une des manifestations les plus perceptibles de cette crise étant la difficulté à recruter des enseignants qui s’est faite jour et dont les « speed dating » ont déféré la chronique récemment Les salaires trop faibles sont souvent avancés comme une cause principale de la difficulté à recruter ou à conserver des enseignants. C’est en partie vrai et le gouvernement a annoncé vouloir procéder à une revalorisation significative des rémunérations.

La détérioration des conditions de travail des enseignants est une des autres explications avancées. Tout ceci est exact mais cela suffit-il à rendre compte correctement des vraies raisons de ce malaise ? En d’autres termes, ne faut-il pas rechercher ailleurs la cause de la perte relative d’attractivité du métier d’enseignant ?

Depuis le temps « béni » des « hussards de la République », le rôle social de l’enseignant a fortement évolué. La centralité de la figure de l’enseignant, principalement de l’instituteur, était liée à la double nécessité d’alphabétiser rapidement les enfants d’une population à majorité paysanne et de les souder à une République restaurée dont il s’agissait de garantir la pérennité.

Transformer des fils et des filles de paysans en futurs ouvriers dociles et respectueux du patron, inculquer l’esprit de « revanche » après la défaite de 1870, nécessitaient d’organiser une transmission des connaissances dans une verticalité qui plaçait au centre du processus l’instituteur érigé en « maître ». Et surtout, la République ayant décidé de rendre publique, gratuite, laïque et obligatoire la scolarisation des enfants, il convenait de recruter des bataillons nombreux d’enseignants. Pressée par le temps la République recruta au niveau du certificat d’études des hommes et des femmes qu’elle formata dans des Ecoles Normales pour les déverser en masse dans les écoles. Ce faisant elle fît du métier d’enseignant une promotion sociale.

Et, quand l’institution pour laquelle vous travaillez vous a permis de vous élever socialement, alors vous la défendez corps et âme.



Aujourd’hui cela n’est plus et ne sera plus. Enseigner n’est plus une promotion sociale. Les enseignants du 1er degré sont recrutés à bac+5, soit le niveau d’une école d’ingénieur ou d’une école de commerce, pour exercer un métier pour lequel, auparavant, on n’exigeait même pas d’eux qu’ils aient eu le baccalauréat.

En outre, alors que les jeunes diplômés à bac+5 ont intégré la forte probabilité de changer plusieurs fois de métier au cours de leur carrière professionnelle, l’enseignant est sûr d’exercer la même profession plus de 40 années jusqu’à la retraite. Et qui plus est, de l’âge de 3 ans où il commence sa scolarité, jusqu’à sa retraite, l’enseignant n’aura jamais quitté un établissement scolaire.

C’est ce décalage avec le reste de la société qui est potentiellement source d’un malaise profond qui s’accentuera au fil des ans en raison de l’usure normale de l’exercice d’une même activité. Si certains conservent une vocation, on ne peut pas bâtir une institution sur la seule vocation des membres qui la compose. D’où la nécessité de rechercher de nouveaux ressorts de motivation pour les enseignants. Une piste de réflexion pourrait consister dans le fait de leur accorder des temps de respiration leur permettant, s’ils le souhaitent, de quitter temporairement l’école puis d’y revenir. Tous les sept ou dix ans, les enseignants se verraient accorder le droit à un congé sabbatique d’un an pour leur permettre de faire autre chose. Travailler dans une association, reprendre ou entamer une formation, partir travailler à l’étranger, etc. l’Etat leur garantirait le maintien de leur rémunération, ce qui, par exemple, dans le cas où il travaillerait dans une association avec un salaire inférieur, il toucherait le différentiel d’avec son salaire d’enseignant de la part de l’Etat. L’enseignant étant seulement obligé de présenter un projet de formation ou professionnel et d’en rendre compte à la fin de celui-ci. Enfin, l’Etat s’emploierait à favoriser les réorientations professionnelles en cours de carrière et, en contrepartie, assouplirait certaines conditions de recrutement des enseignants. Je suis avocat, je n’ai pas le temps d’avoir un temps complet voire un mi-temps d’enseignant, mais je serai ravi de pouvoir enseigner le droit en lycée professionnel pour une classe de 1ère ou de terminale technologique STMG. Et, je pense que beaucoup d’entre nous seraient enchantés à l’idée de transmettre des connaissances, sans en faire leur métier exclusif.



Cet article a été publié dans le n°40 de Lumières Internationales. Retrouvez le ici








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