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Des mots et des maux

Photo du rédacteur: Alain CamilleriAlain Camilleri

Dernière mise à jour : 12 oct. 2024



 « On peut, si on veut, ramener tout l’art de vivre à un bon usage du langage ». (Simone Weil)


Le français est une langue vivante. Courte et précise, cette définition sous-entend que cette langue - comme les autres, d’ailleurs - évolue, se modifie, s’adapte au progrès des sciences et des techniques, bref, se modernise. Au fil des siècles, cette adaptation régulière s’est avérée indispensable ; faute de quoi, la langue serait devenue lentement mais sûrement une langue morte. Cependant, cette évolution naturelle qui fait consensus est polluée par une pratique fâcheuse de plus en plus fréquente : celle du dévoiement des mots. Et, circonstance aggravante, ce dévoiement du vocabulaire est pratiqué par certaines personnalités qui « comptent » : personnel politique, commentateurs, experts, journalistes. Bref des « sachants » dont les paroles impactent la mémoire collective des citoyens. Pour illustrer cette dérive, voici trois exemples de vocables qui reviennent en boucle dans les médias :


Le différentiel : ce terme issu des mathématiques ou encore du langage de la mécanique est abondamment utilisé dans des phrases comme « le différentiel entre l’opinion publique et la classe politique est important ». Serait-ce déchoir que d’utiliser le mot « écart » pleinement approprié ? Mais cela est sans doute beaucoup moins chic! 


La moraline : ah quel plaisir ineffable de susurrer suavement ce mot dans le micro ! Hier encore, un personnage politique qui aspire à un destin national, assénait à son interlocuteur sur un ton sentencieux : « les Français n’ont que faire de cette moraline ! ». Rappelons à ces Diafoirus du vocabulaire que ce terme a été forgé par le philosophe Friedrich Nietzsche pour désigner spécifiquement la morale chrétienne et pas autre chose ! Serait-ce franchement déshonorant de parler simplement de « morale » ?


Le barycentre : voici encore un terme mathématique avec lequel certains éditorialistes politiques aiment se gargariser : « tel parti est le barycentre de la majorité ». Serait-il vraiment humiliant de dire « le point d’équilibre » ou plus simplement encore « le centre » ?


Oui, les mots ont un sens et, sans verser dans une espèce d’intégrisme littéraire, il convient de dénoncer cette dérive qui, si nous n’y prenons pas garde, déformera progressivement la précision du vocabulaire du français. Puisse ce modeste plaidoyer contribuer au recul de ces manquements qui, par leur répétition, abâtardissent la belle langue de Molière.

 

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