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Un certain 06 octobre

  • Photo du rédacteur: Ori Haaker-Chijner
    Ori Haaker-Chijner
  • il y a 4 heures
  • 7 min de lecture
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C`était un vendredi matin d`octobre à Tel-Aviv. Il faisait beau, si beau ! Le ciel était d`un bleu limpide. Il n`y avait pas d`humidité. Le temps parfait.


Un jour calme.


Un vendredi comme tous les autres avec l`émulation du shabbath à préparer et de Simhat-Torah dans les heures à venir.


J`aime les vendredis matin. Je me lève tôt et après avoir mis mes Tefilins, je monte sur mon vélo direction Tel-Aviv et le souk Ha-Carmel liste de courses en poche. Je compte acheter des avocats, du raisin, les premiers kakis, salade, courgettes, tomates, fenouil, grenade et anone. Je n'oublies jamais de faire le plein de « vert » : menthe, ciboulette, persil, coriandre et j`ai prévu un saut chez le fromager pour me fournir en parmesan et gouda et peut-être un morceau de comte aussi. Sans oublier un bouquet de fleurs, shabbath oblige !


J'aime les allées emplies de monde, les gens qui parlent à haute voix, les étalagistes qui haranguent les touristes pour un souvenir d`Israël : un ruban rouge, une médaille, un bracelet, un porte-clef ou un tee-shirt ou un bermuda ou encore des chaussettes tout autant que les marchands d`épices aux senteurs si orientales.


Emplettes faites je retrouve mon amie Sophie pour un café sur Nahalat Benyamin où se situe le marché des artisans et artistes : bijoux foulards, souvenirs, céramiques, tableaux, volapuks, etc….


Nous sommes insouciants. Entre deux gorgées de café nous discutons des projets du week-end. Je suis invite à diner pour shabbath ce soir. Il fait tellement beau. Demain matin je vais aller à la plage faire ma marche hebdomadaire entre Tel-Barukh et Herzliyya.


Nous parlons d`envies, de cuisine, de recettes, de tout et de rien qui compose le quotidien. De vacances à réfléchir, de destinations.


Mi-journée. Nous rentrons chacun chez nous. Elle à Tel-Aviv, moi à Bnei-Brak.


8 km en traversant Tel-Aviv, Ramat-Gan et enfin la maison. Cette petite maison individuelle rose au milieu d`un immense jardin dont je m`occupe avec mes fleurs, mes arbres fruitiers, goyave et grenade ou mes plants de tomates et salades.


Je range les courses, je mets la batterie du vélo en charge. Je vais chez le voisin pour boire un café. Tranquille. Calme.


Un calme presque étrange. Un calme peut-être trop calme qu`intérieurement je perçois à peine.


Sieste.


Douche.


Shabbat Shalom à ma Mère et à ma Sœur.


Allumage des deux bougies de shabbat.


20h00, je monte chez mes amis et voisins. Toute la famille est réunie dans la joie du shabbat et de Simhat-Torah.


Kiddoush.


On se sert en salades diverses et variées, thon, salade verte, pommes de terre, charcuteries, tomates-concombres, avocat, œufs. Puis plat de résistance. Goulash, soupe de poulet et kneidler. Dessert : pastèque et biscuit au chocolat. Actions de grâce. On parle, on rit.


Minuit. Je redescends chez moi. Je me dis que je vais tenter une grasse matinée jusque vers 8h00 avant d`aller à la plage.


Je m`endors, heureux.


6h30 azaka ! Je me réveille lourdement. Pas envie de me lever ; ça doit être une fausse alerte. C`est shabbat et Simhat-Torah. J`ai une minute trente pour descendre à l`abri sous la maison.


Je me force à me lever. Je prends mon téléphone et enfile un short et glisse mes pieds dans mes tongs.


Je mets un message sur Facebook : Azaka ! (alerte), histoire de savoir si mes amis ont eux aussi été réveillés. 10 minutes plus tard, fin d`alerte, je remonte me coucher.


Puis à 7h00 ça sonne à nouveau alors que je commençais à sombrer.


Là, ce ne peut pas être une fausse alerte ou une erreur. Je redescends à l`abri sous la maison. Mon amie Myriam m`envoie un message avec une vidéo. Il y aurait une infiltration de terroristes vers Sderot.


Je ne crois pas ce qu`elle dit. Ce n`est pas possible. Je me connecte sur Telegram. Les fils d`infos se déroulent presque toutes les 10 secondes. A chaque minute et entre 2 azakot l`angoisse commence à m`étreindre.


Mais il se passe quoi là ?


Il y aurait des morts, plusieurs. Les terroristes seraient à Sderot et tirent sur tout ce qui est vivant, hommes, femmes, enfants, vieillards, animaux.


Je remonte. J`allume les chaines d`infos. Ça semble chaotique. Les infos se précisent tout en étant non vérifiées encore.


8h00. Les vidéos commencent à circuler, de plus en plus nombreuses, terrifiantes, irréelles. On commence à se téléphoner les uns les autres. Un ami à Ashkelon me dit que les terroristes tirent en bas de son immeuble, qu`il est dans le mamad avec ses 4 enfants et sa femme, barricadés.


D`autres à Ashdod me témoignent des mêmes scènes.


On apprend qu`ils seraient rentrés dans les kibboutz de Otef Aza. Qu` ils auraient tiré sur des jeunes festivaliers à Re`eim.


Sensation de hors de contrôle.


Et puis là, assis sur le canapé, devant la télé, téléphone en main, je me mets à sangloter devant l`horreur et les horreurs qui se déversent sur les écrans.


Je zappe sur les chaines d`infos israéliennes.


Mon cerveau voit, enregistre, mais ne croit pas, n`analyse pas, n`intègre pas. Je n`arrête pas de pleurer. Je n`ai pas peur pour moi. Je prends uniquement conscience que la guerre a été déclarée. J`entends les voisins aux balcons qui crient les infos pour ceux qui ne savent pas et qui sont à la synagogue.


10h30, je sors vers la synagogue à une maison d`encablure de chez moi. Je croise mes amis. Je leur demande s`ils savent. Je me remets à pleurer. J`essaye de former des mots entre deux sanglots convulsifs. Ils rentrent chez eux.


Je retourne chez moi, assis par terre sidéré devant la télévision. Je ne suis plus en état de parler, de communiquer verbalement.


15h00 les informations sont de plus en plus précises tant dans l`horreur que sur l`annonce de prises d`otages.


Je sors à nouveau. Ma tête explose.


Je décide d`aller à la superette y acheter des cigarettes. Tout est vide. Je croise deux jeunes religieux qui me demandent ce qu`il se passe. Ma voix s`étrangle. Les larmes me montent aux yeux. J`essaye de leur expliquer. Je leur dis qu`il y a la guerre dans le sud. Les terroristes se sont infiltrés. Ils rentrent chez eux.


Il n'y a pas une voiture sur le boulevard. Pas une personne dehors. La superette est fermée. Tout est fermé. Il a été donné ordre de se calfeutrer chez soi. De se confiner.


Je rentre.


Le téléphone sonne. Une amie de Suisse vient prendre des nouvelles. Je luis réponds que c`est l'horreur que je ne peux pas parler, qu'on se rappelle.


Les messages commencent à arriver du monde entier : Etats-Unis, Suisse, Italie, France, Turquie qui marquent leur soutien et leur effroi devant l`horreur qu`ils découvrent.


Je suis 5 ou 6 chaines en simultané, israéliennes, françaises, anglophones.


Ma sœur me téléphone en pleurs. Je lui dis que je ne suis pas en état de parler.


Instagram, Facebook, X, Telegram, la télévision. Tout résonne, tout se brouille.


Il est 18h00. Je m`effondre de stress et de douleurs et dors pendant 30 minutes. Je ne dormirai plus jusqu`au lendemain soir.


Je n'ai pas faim. J'ai la nausée.


Mon voisin me dit que son fils a reçu son ordre de mobilisation et qu'il part le soi-même. Il a 22 ans. Il est para et religieux.


Alors je prie. Je prie pour les soldats, je prie pour mon pays. Je prie pour les otages. Je prie pour les blessés, je prie pour les morts.


Je vais prier ainsi quotidiennement jusqu` à la fin de la guerre et tant que les otages ne seront pas rentrés chez eux, vivants ou morts.


J'allume la neir neshama, la bougie de souvenir qu'on allume lorsque l`on est en deuil. 756 jours après elle l`est toujours!.


Je mets un message sur Facebook sur mon groupe de cuisine où je publie mes recettes qu`au regard de l’actualité soudaine, je mets en suspend jusqu`à la fin de la guerre. A ce jour personne n'a quitté ce groupe.


On parle d`un quasi ordre de mobilisation générale. Je comprends que la guerre ne durera pas 6 jours…


Les heures qui vont suivre vont nous amener apprendre le massacre de Nova, les viols, le pogrom dans les kibboutz, les soldats et soldates massacrés à Nahal Oz, les premiers actes de bravoure, les premiers enregistrements et d`appels au secours ou d`adieu à leurs familles des festivaliers.


Ce jour-là, ce 07 octobre 2023 nous avons basculé dans un autre monde. Une autre dimension entre sidération, colère, pleurs, douleurs, unité, interrogation et soutien.


Ce jour-là, le Peuple d`Israël s`est levé comme un seul homme.


Ce jour-là, nous avons immédiatement compris que plus rien ne serait comme avant, comme le 06 octobre 2023.


Ce jour-là nous sommes tous entrés dans un tunnel avec nos otages appelant la Lumière.


La compassion du monde aura duré 24 heures. Dès le 08 octobre nos victimes ont été considérées comme bourreaux et responsables de ce qu`ils et elles ont subi.


Mais nous ne sommes jamais arrivés au 08 octobre.


La suite dans le monde tout le monde la connait.


Comme beaucoup, des amis (ou que je croyais comme tels), des connaissances ont fait silence, ont détourné le regard dans le meilleur des cas. Ils sont tous, ceux-là, hors de ma vie. Aucun après deux ans ne s`est manifesté.


Heureusement il y a eu les « autres », les nouveaux Justes ! Quelques-uns. Merci à eux.


Il y a eu un 06 octobre. Puis il y a eu un 7 octobre, mais toujours pas de 8 octobre. 11 de nos frères sont toujours otages.


L`insouciance du 06 est brisée à jamais. Elle ne reviendra plus. Nous sommes différents. Je suis différent. Au milieu de cette guerre il y en a eu une deuxième, celle de l`Iran ou des 12 jours avec ces heures jours et nuits dans l`abri.


De ce fatras nous sommes sortis plus forts. Nous nous sommes relevés chacun à nos niveaux, avec nos moyens, comme nous le pouvons, pour soi, pour ceux qu`on aime et qui nous aime. Pour les soldats, pour les otages, pour leurs familles. Des héros se sont révélés de partout, des civils, des anonymes, des pères qui se sont sacrifiés pour sauver leurs enfants, des inconnus qui sont venus en aide aux blessés, des soldats porteurs d`une bravoure sans nom. Des mères et des femmes d`une dignité rare quand elles enterraient leurs enfants. Des enfants qui ont protégés leurs frères et sœurs. Des enfants qui nous manquent tellement, terriblement, éternellement, à l`instar de Kfir et Ariel Bibas.


Parce que la vie continue et prime sur tout, depuis le 07 octobre 2023 il y a eu des mariages, des naissances, des bar-mitsvas, des aliyas, parce que le vie et l`amour sont les plus forts.


Je me sens encore plus fier d`être israélien et juif que je ne l`ai jamais été.


Une nouvelle tâche nous attend, savoir honorer et aimer nos soldats dont certains ont servi 700 jours durant et qui rentrent chez eux avec leurs traumas psychiques, blessés physiquement, mutilés, ou qui ont sacrifié leurs vies pour libérer les otages et protéger le pays pour que nous puissions continuer d`avoir un semblant de vie normale.


Nous sommes chez nous pour l`éternité quoique puisse en dire une partie du monde.


Le bien finira par triompher, c`est factuel !


Je ne suis plus le 06 octobre, je ne suis pas encore au 08 octobre.


Pour l`amour d`Israel !


Am Israël Hai



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